L’Arménie… comme jamais
J’ai beaucoup voyagé, je suis allée sur les 4 continents, dans plusieurs pays ou villes, pour un jour, 8 jours, ou plusieurs années, mais je n’ai jamais été touchée au cœur, d’emblée, par l’Arménie. Ce pays, se situe, aujourd’hui, au sud du Caucase, au nord de la Turquie et de l’Iran, au sud de la Géorgie et à l’ouest de l’Azerbaïdjan et à 4h30 de Paris en avion. Il va falloir me suivre dans l’histoire d’un vieux pays à l’histoire complexe.
Je suis partie sans à priori et sans aucune connaissance réelle de ce pays hormis, dans mon enfance, le papier d’Arménie (prononcé presqu’en un seul motpar ma grand’mère). Bien, bien des années plus tard, j’ai eu connaissance de l’abominable génocide arménien (d’autres génocides perdurent encore sans que cela posent problème à nos élites internationales) et enfin il y a eu le terrible tremblement de terre de Spitak en 1988 avec 25.000 morts, 140.000 handicapés et près d’un demi-million de sans abris.
Oui, malgré tous ces évènements tragiques, qui auraient du me permettre de bien situer l’Arménie sur la carte du monde, pour moi, c’était un pays lointain dont je ne connaissais pas bien la situation géographique ni les frontières et encore moins l’histoire. C’est en apprenant qu’un voyage était organisé vers ce pays par le Comité de Jumelage d’Issy-les-Moulineaux vers sa ville jumelle, Etchmiadzine, que je me suis inscrite et pris mon envol.
A Roissy, les 13 voyageurs se sont regroupés pour un vol Air France.
La dentelle n’était pas loin pour moi dans ce voyage car j’avoue avoir été frappée, il y a bien longtemps, pour une reproduction photographique d’une dentelle couleur assez extraordinaire de forme ronde, trouvée dans un livre. J’avais envie de la voir “en vrai”.
Notre base était Erevan, capitale d’un pays de 3.000.000 d’habitants, d’où nous allions rayonner du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est.
Notre guide, parlant parfaitement le français, nous a retracé l’histoire du royaume d’Arménie créé entre IX° et le VI° siècle avant J-C. Il a été conquis par les Mèdes vers le VI° siècle av. J.C.et fera partie de la Perse Achéménide sous Darius 1° soit 520 av. J.C. Alexandre le Grand, en 330 avant J.C., met fin au royaume sans toucher à l’Arménie qui devient un nouveau et immense royaume qui ne durera que peu de temps (95 à 55 avant J-C). Il s’étendait du Caucase à la Mésopotamie et de la Perse à la Syrie. Ce royaume avait pour roi Tigrane le Grand.
Vers le 1er siècle après J.C, un accord est signé entre Rome, successeurs d’Alexandre le Grand et les Parthes d’où sera issu le nouveau roi d’Arménie qui verra sa dynastie disparaître en 428.
Au IV° siècle, un certain Grégoire, noble Parthe chrétien de Cappadoce, entre au service de Tiridate, roi d’Arménie. Refusant de se soumettre au culte de la déesse Anahit, Grégoire est jeté en prison. Le roi ayant fait assassiner une vierge romaine est transformé en sanglier. La sœur du roi, chrétienne, aurait fait un songe par lequel la guérison du roi n’interviendrait qu’à la libération de Grégoire. Ce qui est fait, le roi guéri, se fait baptiser et impose le christianisme dans son pays. Grégoire appelé l’Illuminateur devient catholicos c’est-à-dire patriarche suprême. L’Arménie est le plus ancien pays catholique et a fêté en 2001 son 1.700ième anniversaire. (Pour mémoire, Clovis se converti vers 499)
Les invasions arabes commencent au VIIe siècle avec un califat qui soutient les gouverneurs locaux au détriment des pro-byzantins. Des incursions turques (déjà) poussent de nombreux arméniens à se réfugier en Pologne, en Crimée, en Moldavie, en Galicie, en Bulgarie, en Cilicie. A la suite des Croisades, le prince Léon fonde en 1198 le dernier Royaume d’Arménie. Le dernier roi Léon V, un Lusignan français d’origine, est enterré à Saint Denis. Par la suite, les Arméniens seront sous domination Seldjoukide, puis des Mongols et jusqu’au XVIe siècle celle des Turkomans.
(Vous me suivez toujours?)
Par la suite le pays sera le théâtre de luttes entre les Ottomans et les Perses, puis entre les Ottomans et les Russe jusqu’en 1828. Au Congrès de Berlin en 1878, la question arménienne est posée pour faire droit à la liberté religieuse et culturelle avec égalité avec les sujets musulmans de l’Empire Ottoman. Mais il n’y a pas de suite à ce projet. Au contraire, la vie de la population arménienne, sous le joug du sultan, devient alors intolérable pour les chrétiens, juifs, grecs, assyro-chaldéens: exactions, privations, frustrations, levées d’impôts et taxes spécifiques, terreur, assassinats. Un mouvement de révolte et d’émancipation politique voit le jour, le Sultan réprime ces mouvements dans des bains de sang. Le “sultan rouge”, Abdul Hamid II, recrute des Kurdes pour semer la terreur chez les paysans arméniens. Dans tous les villages ou villes où se trouvent des arméniens, le massacre est systématique, entre 1894 et 1896, ils sont 300.000 à être passés au fil du sabre ottoman, 100.000 se réfugient dans le Caucase du sud, 50.000 enfants sont islamisés de force. Les écoles, les maisons, les églises sont détruites.
En 1908, le sultan est démis de ses fonctions et de jeunes turcs rédigent une Constitution précisant la liberté et l’égalité entre les peuples, c’était trop beau. En 1909, nouveau massacre des arménien d’Adana(ville qui a été occupée au cours des siècles par les Hittites, Grecs, Assyriens, Romains, Byzantins, Turcs, Egyptiens, Ottomans, enfin à nouveau les Turcs) 30.000 arméniens périssent.
Les alliances dues à la guerre 14/18 avec l’entrée en guerre de l’Empire Ottomans et son projet de créer un grand Etat Turc regroupant les populations d’origine turque du Bosphore à la Chine, sont entravés par les arméniens qui refusent de porter les armes contre les Caucasiens qui les avaient accueillis ainsi que les Russes. Les soldats arméniens de l’armée ottomane sont alors désarmés et envoyés dans des bataillons de travail, les fonctionnaires démis de leurs fonctions, les notables, les religieux, les chefs politiques exécutés. Les arméniens ont leur passeport confisqué et ils sont désarmés. La population turque participe au pillage et à la disparition de familles entières. Dans la nuit du 24 avril 1915 plus de 600 intellectuels sont arrêtés à Constantinople, torturés et abattus. Pour ne pas alerter les pays occidentaux qui auraient pu intervenir, les populations arméniennes éloignées sont d’abord massacrées mais la guerre qui ensanglantait à ce moment là l’Europe ne permettait pas de s’occuper de ce drame. Le grand génocide commence alors sans retenue. Les Arméniens doivent abandonner maisons et biens, au total 1.5 millions soit les 2/3 de la population se retrouvent sur les routes vers les déserts de Mésopotamie et de Syrie pour une déportation qui sera définitive pour la plupart d’entre eux avec comme corollaires la soif, la faim, les maladies et la cruauté des gendarmes turcs.
En 1917, au lendemain de la Révolution Russe, le démantèlement de la Transcaucasie voit l’émergence de trois pays : la Géorgie soutenue par l’Allemagne, l’Azerbaïdjan allié de la Turquie devient indépendant les 26 et 27 mai 1918. Restés seuls les Arméniens se déclarent indépendants le 28 mai 1918 mais n’ont plus la protection Russe et sont, par conséquent, sous la menace turque. Des survivants du génocide retournent en Arménie pays totalement dévasté où sévit la famine et les épidémies de typhus et de choléra. Malgré tous ces handicaps et tous ce chao, un gouvernement est formé et prend pour capitale Erevan. Des structures administratives sont créées, une constitution est adoptée, une armée de conscription est mise en place, le droit de vote est accordé aux femmes, l’école primaire est gratuite et obligatoire et les journées de travail sont de 8 heures enfin l’arménien devient langue officielle. Théâtres et musées sont ouverts et la première université ouvre ses portes en janvier 1920.
Mais patatras; bis répétitas. En 1920, l’Arménie est envahie par la Turquie Kémaliste et la Russie bolchevik avec persécution, interdiction de l’Eglise, contrôle de la vie privée, instauration de la Tcheka (police politique russe), dépossession des terres et des biens, collectivisation, industrialisation, répression des révoltes. L’Arménie est dépecée. Les soviétiques prennent possession de Karabakh (Artsakh), et du Nakhitchévan qui sont inclus de force dans l’Azerbaïdjan, le Djavakhk dans la Géorgie. Il reste 30.000 kilomètres carrés qui deviendront en 1991 la République Socialiste Soviétique d’Arménie. Les Arméniens, qui peuplent à 75% le Haut Karabakh, demandent leur rattachement à l’Arménie, la Russie refuse et leurs manifestations suscitent un pogrom anti-arménien mené, en 1990, par les Azéris dans plusieurs villes proches de Bakou. En septembre 1991, les députés Arméniens du Haut Karabakh organisent un référendum, 90% de la population vote pour l’indépendance de la République du Haut Karabakh. A la suite d’une nouvelle guerre, les Arméniens libèrent la ville de Chouchi et les territoires situés à l’est et à l’ouest. Un cessez-le-feu est signé en mai 1994.La République de Haut Karabakh n’est pas reconnue par la communauté internationale mais participe aux négociations du groupe de Minsk de l’OSCE aux côtés de l’Arménie, de la Turquie de l’Azerbaïdjan, de la Russie, de la France et des Etats Unis.
Aujourd’hui la capitale, Erevan, compte 8 écoles maternelles, 14 écoles secondaires, 1 lycée, 2 grandes écoles,1 Université, 2 écoles de musique, 3 centres de sports, 7 bibliothèques, 5 musées, etc..
L’Arménie a été christianisée il y a 1713 ans. Actuellement, la religion est apostolique,orientale, orthodoxe et autocéphale. Le « Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens » réside à Etchmiadzine (ville jumelle d’Issy-les-Moulineaux) près d’Erevan et bénéficie d’une primauté d’honneur parmi les différents hiérarques ; le titulaire actuel est Sa Sainteté Karékine II depuis le 27 / octobre / 1999.
Ce qui a fait l’unité et la force de l’Arménie, c’est d’abord sa propre religion mais aussi un alphabet unique, semblable à aucun autre, inventé au V° siècle par le moine Mesrop Machtots, il est composé de 36 lettres. Les O et les F sont rajoutés au XII° siècle.
D’autre part, le profond attachement, à ses racines, de l’importante diaspora arménienne de plus de 7 millions de personnes, réparties dans plus de 80 pays, (France 500.000 arméniens)fait qu’elle envoie régulièrement aux 3.300.000 habitants d’Arménie une aide financière importante.
Curiosités : les monastères, les églises, l’architecture, la musique avec le doudouk percé de 8 à 9 trous, genre de hautbois, instrument de musique identitaire en bois d’abricotier dont l’origine se situerait en 95-55 avant JC.
Les croix de pierre : les khatchkars inscrits en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, sont des mégalithes disposés en cercles ou en alignement. Les plus anciens datent du V° millénaires avant JC. Ils sont sculptés de croix, d’un décor géométrique, d’arabesques, de feuillages et parfois de personnages. Certaines pierres sculptées sont appelées Khatchars dentelle en raison de la finesse de leur sculpture
Le Lavash : inscrit lui en 2014, est un genre de crêpe fine cuite contre les côtés de fours verticaux.
Mont Ararat aujourd’hui en Turquie : où se trouverait l’arche de Noé… (et pourquoi pas voir google)
Le “vernissage” d’Erevan genre de marché aux puces où l’on trouve le meilleur et le pire. Peinture, bimbeloterie, tapis, broderies, sculptures, produits chinois, vaisselle, livres et marchands de dentelles. Cette dentelle à l’aiguille ressemble beaucoup au puncetto italien. J’en ai acheté deux spécimens que je vous présente.
Noël arménien :
Joyeux Noël se dit en Arménien : šnorhavor Surb Cnundet, se fête le 6 janvier ainsi que le veut l’église “Apostolique”.
Mais le Nouvel de l’An commence à détrôner Noël qui reste une grande célébration dans ce pays à la tradition chrétienne bien ancrée. Ce changement amorcé sous l’ère soviétique, le régime cherchant à remplacer et détruire les fêtes religieuses en magnifiant les fêtes païennes à grand renfort de spectacles, de feux d’artifices incroyables et d’opulentes tables de fête, chants de Noël, crèche magnifique bien que ce ne soit pas une tradition en Arménie, danses arméniennes, carnaval. L’Arménien est très hospitalier et a le sens du partage.
Le 31 décembre est devenu le point d’orgue de l’année, moment qu’il faut fêter jusqu’à l’excès, même si cela doit conduire la famille au bord du gouffre financier. Durant une semaine, les tables arméniennes se remplissent de mets et de boissons délicates, car pendant plusieurs jours il faut accueillir un va-et-vient incessant d’amis, de familles et de voisins. Il est rare en Arménie de voir les rues pleines de monde et cette semaine fait donc exception. A Erevan, la dernière mode serait au crocodile cuit et exposé entier sur la table pour un prix de 2000 € (pour mémoire, le salaire moyen est de 130 € par mois)
Cela peut donc paraître incroyable mais les familles vendent des meubles, des tapis ou bien font des emprunts à la consommation (taux à 20%) pour honorer cette fête et sauver la face. La pression sociale est telle que certains prétextent un voyage à l’étranger pour ne pas avoir à s’endetter, mais il ne viendrait à l’idée de personne de dire la vérité sur leur manque d’argent.
La semaine de fête se termine avec Noël le 6 janvier. Certains Arméniens vont aller à la messe et ramènent chez eux la lumière de Noël, pour signifier la joie de la naissance du Sauveur. La tradition veut en effet que l’on quitte l’église le jour de Noël avec une bougie que l’on ne doit pas éteindre avant d’arriver chez soi, beau symbole qui rend toujours heureux les petits et les grands.
Un conseil, allez visiter l’Arménie, vous ne serez pas déçus mais si heureux !
Mick Fouriscot